Comment donner des orgasmes narratifs
La réponse tient en trois lignes.
Je pourrais vous la donner maintenant, mais elle est si absurde qu'elle n'aura aucun sens pour vous.
À moins de lire attentivement ce qui suit.
1 - LES PROFESSIONNELS DE LA DOPAMINE
Si vous cherchez les meilleurs storytellers, vous en trouverez un paquet chez les humoristes.
On a beaucoup à apprendre d'eux sur comment capter et conserver l'attention du public, occuper une scène, assurer un rythme, installer une ambiance, nous projeter dans une histoire, et bien sûr nous booster d'endorphines et de dopamine (aka: faire rire).
Justement je suis allé voir "Une Bonne Soirée" de Kyan Khojandi (mais si ! Le mec de Bref.)
Durant le spectacle, une technique en particulier a retenu mon intention. Elle est simple à comprendre, relativement accessible, et peut se montrer très efficace dès aujourd'hui dans votre storytelling. Une fois maîtrisée, c'est une bombe de satisfaction pour votre audience. À tel point que Kyan et ses co-auteurs ont articulé tout le spectacle sur ce seul principe que je compare à un "orgasme narratif".
2 - PRÉSENTATION DE LA FAMEUSE TECHNIQUE (3 exemples)
Le setup/payoff.
C'est l'art de créer un rebondissement jubilatoire, mais cohérent, en semant des indices discrets qu'on va récolter de manière inattendue.
Par exemple, Kyan Khojandi raconte une anecdote de son enfance. Il mentionne tout un tas d'éléments, dont un personnage en apparence anecdotique (setup). Sauf que, 45min plus tard, alors qu'on est plongé dans une autre anecdote qui n'a rien à voir, devinez qui est de retour ? Le personnage anecdotique du début - qu'on avait oublié, mais qui vient résoudre une situation (payoff)
(ouaip, difficile d'illustrer ce concept sans spoiler quoi que ce soit)
Exemple plus concret dans le cinéma: dans The Dark Knight, Alfred présente un nouveau gadget à Batman (setup). C'est ce même gadget qui va lui permettre de vaincre le Joker lors du combat final (payoff). Le film présente le gadget avant de l'utiliser.
Un dernier pour la route: cette fois je parle du premier spectacle de Kyan Khojandi, celui qui est disponible gratuitement sur Youtube. Au début du one-man show, Kyan relate une phrase que son père lui a dite avant de mourir: "Des fois dans la vie, tu crois que c'est les bons gens, et ce ne sont pas les bons gens" (setup). La première fois que ce conseil est cité, l'effet est comique tellement il a peu de sens. On passe à autre chose. Puis Kyan conclut une anecdote en ressortant cette même phrase, qui cette fois-ci prend tout son sens et fait jubiler l'auditoire (payoff). Il va même plus loin en exploitant cette phrase à la fin du spectacle, dans un troisième contexte (deuxième payoff).
Il "présente le gadget", puis l'utilise plus tard d'une manière différente, surprenante.
3 - LES ERREURS À NE PAS FAIRE (2 exemples)
Erreur n°1: invoquer un Deus Ex Machina.
C'est comme ça que ceux qui ont fait latin LV2 appellent les résolutions qui sortent de nul part.
Prenons Jurassic Park. Les héros sont reclus dans un bâtiment face à un vélociraptor menaçant. Il ne semble plus y avoir d'espoir et... Bim ! Un T-Rex affamé arrive de nul part et sauve les humains. Bordel. Déjà... Pourquoi le T-Rex s'en prend à l'autre dinosaure plutôt qu'aux humains ? Pourquoi personne l'a entendu arriver alors qu'il pèse 6 tonnes ? Pourquoi il arrive à la SECONDE où on a besoin de lui ? Et surtout.. Comment un foutu tyrannosaure de 4m de haut a pu passer la porte d'entrée ?
Pour éviter cette facilité scénaristique, on va privilégier...
Le Fusil de Tcheckhov.
Du nom du dramaturge qui a dit:
« Il ne faut jamais placer un fusil chargé sur scène s'il ne va pas être utilisé. C'est mal de faire des promesses que l'on n'a pas l'intention de tenir » (Anton Tcheckhov)
Si un élément se retrouve dans l'histoire, il doit servir. Sinon il n'a pas sa place.
Le fusil, c'est le setup.
Le coup de feu, c'est... le payoff, tout à fait. C'est bien, vous suivez.
Erreur n°2: semer un setup trop évident
"Là, j'arrive à l'aéroport et j'aperçois une valise rouge. Surtout, souvenez-vous de cette valise rouge, elle va avoir de l'importance plus tard"
Ok, merci, tu viens de complètement bousiller ton effet.
Certes les plus habiles pourront feindre un setup grossier pour finalement ne pas l'exploiter et partir sur un autre payoff, afin de provoquer un retournement de situation - mais on cherche à véhiculer des émotions et des enseignements pour faire croître notre activité, pas à devenir le prochain Spielberg ni à poser un Bercy.
4 - AVANTAGES DE LA TECHNIQUE (1 exemple)
Une question sans réponse va créer de la tension pour le public, qui se traduit par une décharge de dopamine (une des hormones du plaisir). En clair: suspense = plaisir.
Le pic de satisfaction survient au moment de la révélation.
C'est l'effet "Ah ! Je le savais !" ou au contraire "Quoi ? C'est lui le tueur ? Je m'y attendais tellement pas !"
Le plaisir est intensifié si des indices ont été semés (présentation du gadget façon Batman, fusil de Tcheckhov)
Le plaisir est réduit si la résolution sort de nul part (T-Rex de malheur)
Dans Retour Vers Le Futur, le personnage de Marty McFly veut protéger son ami Doc Brown d'une mort certaine en lui écrivant une lettre sur ce qui l'attend dans le futur. Doc, ne souhaitant pas interférer avec le continuum espace-temps, déchire cette lettre sans jamais la lire - et se condamne par la même occasion. Sauf que, retournement de situation ! On découvre que Doc a renoncé à ses principes, a finalement lu la lettre d'avertissement et échappe donc à son destin funeste. Quand Marty l'interroge sur les risques de modifier le futur, Doc répond: "je me suis dit: on s'en balance". Entre le début et la fin du film, Doc a évolué. Il a vécu une transformation grâce à Marty, et c'est cette évolution de personnage qui rend la résolution si satisfaisante.
Payoff = satisfaction
Payoff + transformation du héros = satisfaction ultime
Un setup et un payoff bien maîtrisés peuvent donc susciter une décharge de dopamine et d'endorphines. Soit les mêmes hormones qui sont relâchées durant un orgasme, je le rappelle.
Entre gens civilisés, quand on est dans une salle de 4000 personnes habillées, ça se traduit par une standing ovation.
5 - COMMENT APPLIQUER CELA DANS TON STORYTELLING
Tout comme dans la fiction, il y a une multitude de manières d'appliquer cette technique dans tes discours / présentations / témoignages, et ta communication en général.
Application n°1: dans ta légende personnelle
Quand tu racontes ta Légende personnelle, tu vas généralement décrire ta situation de départ: où tu vivais, quand ça se passait, ce à quoi tu aspirais, etc. On est d'accord ? Plus tard, tu vas décrire ton épiphanie: quelle révélation que tu as eue, quel mentor t'a montré le chemin, ce que tu as entrepris ensuite, etc. Et à la fin tu vas décrire ta situation initiale: où tu en es aujourd'hui, ce qui a changé, etc. Toujours d'accord ?
Dans la plupart des histoires que j'entends, ça donne quelque chose comme: "Je vivais à Limoges avec ma copine Martine" (sauf qu'elle ne va jamais réapparaître dans le récit, donc Martine on s'en fout).
Ou: "Et puis un jour, Martine m'a donné un conseil que je n'oublierai jamais" (qui c'est ? D'où elle sort ? En quoi c'est une mentor fiable ? On n'en sait rien. Tu tires un coup de feu sans avoir chargé le fusil)
Ou: "Toute cette aventure m'a permis de devenir une meilleure personne, et de subvenir aux besoins de ma famille" (as-tu mentionné que tu souhaitais aider ta famille en premier lieu ? Ta transformation finale aura plus d'impact si elle résout un problème que tu as rencontré dans ta situation initiale. Tout comme le "On s'en balance" de Doc Brown contraste avec la rigidité dont il faisait preuve initialement)
Semez des graines svp.
Ne faites pas vos dinosaures.
NB: d'ailleurs si tu n'as pas encore transformé ton histoire personnelle en légende inspirante, je t'invite à rejoindre l'Académie du Storytelling. C'est une communauté gratuite, et j'y ai mis le replay de l'atelier parle précisément de ce sujet.
Application n°2: soulever une question sans en donner la réponse tout de suite
Ça crée une boucle ouverte.
Le cerveau humain n'aime pas les questions sans réponses, son niveau d'attention sera accru tant qu'il n'aura pas obtenu la réponse.
Si tu m'as lu jusqu'ici pour savoir quel est le conseil absurde impossible à comprendre sans contexte, c'est un bon exemple de boucle ouverte (oh, quelle mise en abyme)
Et parce que « c'est mal de faire des promesses que l'on n'a pas l'intention de tenir », voici en 3 lignes comment donner un orgasme narratif:
Ne faites pas le dinosaure, présentez d'abord le gadget et utilisez-le, si possible d'une manière insoupçonnée. On s'en balance ! (conseil de ma mentor Martine)
Bref - tirez un coup avec le fusil de Tcheckhov.
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13 comments
Meryl Camus
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Comment donner des orgasmes narratifs
Académie du Storytelling
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